"Main basse sur l'école publique" Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi
Pour l'enseignant Eddy Khaldi et la journaliste Muriel Fitoussi,
l'actuel ministre de l'Education nationale entend saper les bases de
l'école publique républicaine et pousser peu à peu classes moyennes et
supérieures vers le privé.
Leur livre, "Main basse sur l'école publique", est, malheureusement, aussi étayé que convaincant.
Les
auteurs se sont penchés sur la généalogie des idées qui marquent ce
gouvernement, en matière d'éducation nationale. Celles-ci vont puiser
dans un vivier idéologiquement marqué, qui emprunte aussi bien au Club
de l'Horloge (extrême-droite) qu'à l'Opus Dei.
Catholiques conservateurs et droite ultra-libérale se sont rejoints, expliquent Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, pour prôner "le chèque éducation" (aux Etats-Unis, "school voucher"):
un coupon donné à l'école de son choix. L'école remet le coupon au
gouvernement, qui le convertit en argent. On se doute des conséquences
d'une telle mesure : appauvrissement de l'école publique,
enrichissement des écoles privées les plus prisées, baisse générale du
niveau des enseignants, fin de toute mixité sociale.
Xavier Darcos s'est bien gardé, expliquent les auteurs, d'appliquer
d'emblée une mesure si brutale. Pour affaiblir l'école publique et
préparer les esprits, mieux vaut avancer masqué. Il s'agit d'abord,
martèle le gouvernement, de faire des économies. Sans guère susciter de
réaction, deux heures d'enseignement ont ainsi été supprimées cette
année dans le primaire (le samedi matin). Suppression également
de 11.200 postes d'enseignants dans l'Education nationale (13.500
prévus l'an prochain). Détail rarement souligné, mais relevé par nos
auteurs (pages 69 et 78) : le gouvernement a ôté, en proportion, moins
de postes dans le privé (les enseignants des écoles sous contrat sont
payés par l'Etat), que dans le secteur public.
Insidieusement, l'argent public s'oriente de plus en plus vers
l'enseignement privé, en particulier catholique. Et le mouvement ne
date pas d'aujourd'hui : la loi sur la décentralisation du 13 août 2004
"impose
aux communes de contribuer aux frais de scolarité des élèves qui
résident sur leur territoire et sont inscrits dans une école privée
située sur une autre commune". Une loi impulsée par Jean-Pierre
Raffarin qui aurait prononcé en juin 1994, devant des personnels
d'établissement catholique de Poitou-Charentes, cette phrase
ahurissante : "Je ne serai pas le complice du développement de l'enseignement public" (page 142).
Autre concession de taille à la droite la plus réactionnaire : la
suppression des IUFM, dénoncés depuis longtemps par celle-ci comme un
nid de "pédagogistes" malfaisants. "L'économie
réalisée par une telle opération se chiffre à près de 30.000 emplois de
stagiaires, le volet IUFM du budget de l'education nationale étant
purement et simplement supprimé, puisque la formation dispensée aux
élèves-professeurs ne serait plus rémunérée". Conséquence incroyable : l'enseignement devient le seul métier qui ne nécessite pas de formation spécifique.
A ranger dans le même rayon, la pseudo-suppression de la carte
scolaire. Comme il est difficile de pousser les murs, lycées et
collèges publics cotés n'accueillent pas plus d'enfants. L'annonce
gouvernementale d'"aménagement" de la carte scolaire a surtout
multiplié les parents déçus, qui se sont rabattus (quand ils ont pu)
sur les lycées et les collèges privés. Une déception qui ne doit
rien au hasard : si l'on en croit les auteurs du livre, tel était le
but de la manoeuvre. "Devant
le naufrage annoncé et comme précipité de l'Education nationale, ...
l'école privée, bien que porteuse de ségrégation sociale, est en passe
de devenir le nouvel eldorado de familles séduites par les slogans des
marchands d'école, à longueur de palmarès et d'articles élogieux que,
pourtant les statistiques officielles démentent."
Autant lire au plus vite cet ouvrage salutaire qui met en garde
l'ensemble des parents contre l'asphyxie programmée de l'école
républicaine. Certes, celle-ci ne saurait être exempte de critique et
ne parvient pas toujours à mener à bien toutes ses missions. Mais elle
tente de le faire, avec de moins en moins de moyens. L'école
publique est encore un lieu de mixité sociale, et elle est seule à
garantir un enseignement laïc, gratuit et obligatoire. Un héritage en
voie de liquidation.
-> "Main basse sur l'école publique" Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi (Demopolis, 20 euros)