Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
IUFM en lutte
Newsletter
Archives
14 décembre 2009

Article Médiapart, 14 décembre 2009

Jacques Ginestié : « Des enseignants qui découvriront le métier en même temps que leurs élèves »  entretien avec Louise Fessard, Médiapart, 14 décembre 2009

 

            

 Les textes réglementaires de la réforme de la formation des enseignants seront finalement présentés au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche 19 décembre 2009, quelques jours après ceux de la réforme du lycée. Près d’un an de « consultations », pour choisir au final « la pire des solutions » selon Jacques Ginestié, directeur de l’institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) d’Aix-Marseille. La réforme prévoit le recrutement des professeurs au niveau master 2 (bac plus cinq) et de confier la formation aux universités via des masters.

                         

       

Jusqu’ici tout va bien, mais c’est sur la date, jugée trop tardive dans le cursus, des concours de recrutement et leur manque de contenu professionnel, que les syndicats tiquent. Les épreuves d’admissibilité auront désormais lieu en master 2 (en septembre pour les futurs professeurs des écoles, en décembre pour le Capes et au printemps pour les agrégés) et porteront uniquement sur les savoirs scientifiques et non sur les compétences pédagogiques des étudiants. Formateur à l’IUFM d’Aix-Marseille depuis sa création en 1991, Jacques Ginestié a un regard très critique sur ces structures. « Si l’université est le lieu où on enseigne les savoirs créés par la recherche, alors les IUFM n’ont pas rempli leur mission », estime-t-il. Mais aujourd’hui, il voit dans la réforme la victoire d’une certaine droite qui préfère « former les élites plutôt que des citoyens ».

Un an après le report partiel de la réforme de la formation des enseignants, y a-t-il eu des progrès dans les textes présentés le 13 novembre 2009 aux syndicats ?

Jacques Ginestié. Nous en sommes à peu près au même point qu’au mois de décembre de l’an dernier. Tout ce qui s’est passé depuis un an n’a pas servi à grand-chose. L’espoir derrière la masterisation était que la formation serait plus équilibrée entre savoir disciplinaire et rôle du professeur. Mais le gouvernement a créé quelque chose d’encore plus aberrant que les IUFM. Les étudiants de master 2 devront courir quatre lièvres à la fois : préparer des concours de l’enseignement hypersélectifs, mener une recherche débouchant sur un mémoire, préparer un master disciplinaire qui, explicitement, ne prépare pas aux concours de l’enseignement et se former professionnellement au cours en faisant des stages. Il y a peu de chances pour que les aspects professionnels soient couverts ! Des gens qui ne sont pas formés professionnellement ne peuvent pas être opérationnels dès le premier jour. Or c’est ce qui va se passer : on va confier l’enseignement à des fonctionnaires qui découvriront le métier en même temps que leurs élèves.

D’un côté vous réclamez une formation plus professionnelle, de l’autre vous protestez contre les 108 heures de stage en responsabilité – seul devant une classe – prévues en master 2, n’est-ce pas contradictoire ?

On ne peut pas tout faire la même année. Ces 108 heures représentent six semaines de stages. Les étudiants, sans avoir été jamais formés, devront remplacer un enseignant, c’est-à-dire assurer les évaluations, le conseil de classe, la pédagogie... Les enseignants nouvellement recrutés auront six heures de formation hebdomadaire, prises sur leurs 18 heures de cours. Le ministère s’imagine donc qu’un étudiant préparant les concours pourra remplacer le professeur sur ces six heures : ça relève du fantasme le plus complet !

Le ministère de l’éducation nationale compte sur des étudiants stagiaires rémunérés en tout 3000 euros, sans défraiement, pour assurer le service public. Imaginez le jour où l’étudiant en question préférera préparer son concours ou finir un devoir urgent plutôt que d’aller assurer la classe dans une petite école du fin fond des Alpes. Pour les parents d’élèves, cela va exploser très vite !

Le ministre de l’éducation, Luc Chatel, et la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, disent penser « en particulier à ceux qui échouent » et vouloir élaborer des masters « qui ouvrent aux étudiants d’autres débouchés que le professorat ».

Si on plaçait les épreuves d’admissibilité beaucoup plus tôt, en licence, il n’y aurait pas besoin de réorientation et les étudiants ne s’imagineraient pas qu’en passant un master ils auront un poste d’enseignant. En 2009-2010, 1200 étudiants se sont inscrits à l’IUFM d’Aix-Marseille pour préparer le concours de professeurs des écoles. Si nous sommes très bons, 200 d’entre eux vont le réussir et devenir professeurs. Pour qui vais-je faire un master ? Pour les 200 qui vont réussir ou pour les 1000 qui échoueront ? Je ne donne pas longtemps pour qu’il n’y ait plus de préparation explicite aux concours de l’enseignement en France.

A la place, on va voir fleurir des officines privées qui prépareront à ces concours. L’enjeu du développement des sociétés occidentales est quand même le savoir et on est en train de mettre à bas l’idée même d’une éducation de qualité. Mais ça a toujours été le projet de la droite, d’abattre la formation professionnelle des enseignants.

Au lieu de créer de nouveaux masters d’enseignement, le gouvernement semble vouloir s’appuyer sur les masters existants qui sont souvent infradisciplinaires. A quoi vous attendez-vous ?

Les masters existants sont très pointus. Au lieu d’avoir des gens avec une bonne culture mathématique, nous aurons des spécialistes, qui excelleront, l’un dans l’analyse numérique, l’autre dans le traitement des grands nombres. Des domaines qui correspondent au mieux au petit a du grand A d’un chapitre du programme des maths au bac.

Un bachelier scientifique avec mention qui a réussi un master de mathématiques puis obtenu le Capes va se retrouver, au bout de cinq ans d’études en maths, devant une classe dans un collège en Seine-Saint-Denis. Car, en France, on met les jeunes professeurs inexpérimentés dans les ZEP, alors que les enseignants chevronnés obtiennent les établissements des quartiers huppés. Vous avez vu Entre les Murs (le film de Laurent Cantet, ndlr) ? J’imagine le nombre de démissions qu’il va y avoir ! Il faut arrêter de penser qu’on devient prof comme ça, spontanément. En Allemagne par exemple la formation des enseignants est traitée de la même manière et au même niveau que celle des ingénieurs. Comment peut-on en France parler de revalorisation quand on espère recruter des professionnels à bac plus cinq pour 1300 euros net par mois en début de carrière ?

Accompagnement personnalisé, tutorat, usage des ressources numériques : la réforme du lycée dessine de nouvelles missions pour les enseignants, sont-elles prises en compte dans leur formation ?

Il existe une forte contradiction entre ce qui se fait au lycée, autour de projets multidisciplinaires, et la formation des enseignants. Un enseignant qui aura passé cinq ans de sa vie à préparer un concours ultrasélectif en mathématiques sera-t-il prêt à aller discuter sur un projet commun avec l’enseignant de lettres et celui d’histoire-géographie ? L’éducation nationale reconnaît le savoir disciplinaire, mais pas la compétence professionnelle. D’ailleurs, on ne propose pas vraiment de plans de carrière aux enseignants qui voudraient se former.

Publicité
Commentaires
IUFM en lutte
Publicité
Derniers commentaires
Publicité